Comme on est bien dans son bain [Libre][Mission]

Lily en avait assez de prendre sur les stocks communs pour faire un brin de toilette. Elle avait donc décidé de se rendre dans un magasin de cosmétiques pour trouver du savon. Et elle n’avait pas à aller très loin. Une boutique dans l’Americana Gallery lui offrirait probablement ce qu’elle cherchait. Elle mangea un morceau, et en donna à Oswin, puis, armée de son katana, elle sortit du Refuge accompagnée de la chienne. C’était un animal de compagnie plutôt silencieux, donc cela ne l’embêtait pas de l’amener avec elle. Et puis, le berger se dégourdirait un peu les pattes. Elle marcha donc, l’œil alerte dans les couloirs blancs jusqu’à la galerie. Comme elle s’y attendait, la porte était brisée en mille morceaux. Elle la poussa, repoussant les bouts de verre, veillant à ce qu’Oz ne se blesse pas en marchant.

Quelqu’un venait de se relever, et lui tournait le dos. Elle observa un instant ses cheveux châtains, cette silhouette un peu maladroite peut-être, ce bras tatoué. Instinctivement, elle avait porté la main à la poignée de son arme, avant de réaliser qu’il s’agissait de l’un des survivants du Mall. Cela aurait pu être l’un des gars du Mont-de-Piete et elle ne souhaite d’aucune façon, se retrouver en confrontation avec l’un de ceux-là. Elle l’avait déjà vu de loin, mais ils ne s’étaient jamais présentés. Elle se racla doucement la gorge, de façon à ne pas le faire sursauter. Il se retourna et elle vit le bandage qui recouvrait son œil couvert de cicatrices.

Il fallait dire, elle n’était pas mal dans son genre. Probablement plus de cicatrices au compteur qu’un vétéran de guerre. Certains se voyaient aux premiers abords, comme celle sur sa joue ou dans son cou, sur ses poignets, mais certaines étaient cachées, nichées dans le bas de son dos, sur ses cuisses ou près de sa poitrine. Celles faites par Guernica n’arrangeaient rien. A vingt-deux ans, elle en avait vu des vertes et des pas mûres. Mais elle avait survécu, à toutes. Il n’y en avait qu’une qu’elle s’était faite elle-même en s’entaillant les paumes à New York pour expliquer son état après le sauvetage sommaire de Jim. Oh, elle ne se voyait pas beaucoup, il s’agissait juste d’une petite ligne sur sa main gauche. Le reste, elle le devait à son père, Piers, en quasi-totalité. Elle chassa ses pensées.

« Salut. Moi c’est Lily. »

Elle esquissa un sourire, tendant la main vers l'homme. Quand, en jappant, Oswin attira son attention. Elle avait dans la gueule un tube de crème. La jeune femme l'attrapa, et regarda l'étiquette. Une de ces stupides crèmes minceur. De la pacotille d'arnaqueurs. Comme si elle en avait besoin de toute façon. Les épreuves de la vie avaient façonné son corps. De bien des façons. Elle était déjà si fine. Elle caressa la chienne qui semblait contente de sa trouvaille, et rangea celle-ci dans sa besace.

Elle sourit, il lui demandait pour sa compagne.

« Oswin. C’est une femelle. »

Tout en regardant autour d’elle, elle entendit Athanase lancer un cri de joie. Il avait trouvé du savon. Miracle en effet. Plus que 9 ? Il avait donc choisi un partenariat avec ce cher Lorentz ? Fallait croire. Ils y passaient tous de toute façon. Pour avoir un truc ou l’autre, aider un peu la communauté. Les requêtes ne manquaient jamais. Elle chercha de son côté, sans bruit. Elle n’était pas vraiment du genre bavarde.

« De quoi me laver sans tout taxer au stock commun. Un ou deux trucs utiles, on sait jamais ce qu’on peut retrouver ici. D’ailleurs… »

Elle se pencha en avant, tendant la main vers l’objet au sol. Décidément ! Elle ne se tapait que les pacotilles ridicules. Une crème antirides. Comme si elle en avait quelque chose à faire que deux trois rides ne se marquent sur son visage ? Les cicatrices la rendaient déjà abîmée de partout. Alors bon, les marques de l’âge, elle s’en souciait peu.

« Tu crois que si je donne ça à Lorentz, il va mal le prendre ? »

Elle rit en lui montrant le pot, moqueuse. Autant rendre le shopping un peu moins… Awkward. Fallait bien… Briser la glace, non ? Ou en tout cas briser les os des goules qui oseraient s’approcher. A son accent, il n’était pas d’ici. Elle réfléchit un instant, et tenta le tout pour le tout en se rappelant ses bases d’Allemand :

« So wie das, deutsche sind Sie? »

C’était pas parfait sûrement. Mais elle avait appris à aligner deux-trois mots pour se faire comprendre avec Louis. Il traînait avec tout un tas de types louches. Normal, vu dans quoi il trempait. D’une certaine façon, elle aussi trempait dedans. Elle l’aurait bien suivit jusqu’au bout du monde. Pas vraiment qu’elle était amoureuse, juste qu’elle n’avait rien à perdre. Avec lui, elle était quelqu’un d’autre. Elle n’était plus la fille d’autrefois. L’anglaise aux airs de freak, timide et rejetée du monde. Cette fille là était morte. Une autre était née.

« Nein, ich bin Englisch. Ich auf dem Boden gelernt. »

Elle repartit à ses fouilles lorsqu’Athanase s’approcha d’elle, lui demanda la signification du mot exfoliant.

« C’est pour nettoyer la peau. C’est comme du savon, avec des grains pour enlever les impuretés, les boutons,... »

Elle reprit ses recherches, ayant satisfait la curiosité du survivant. Puis, un peu plus tard, il lui parla de l’invasion. Il lui demanda si elle vivait aux USA à ce moment. Elle hésita un moment sur sa réponse. Au moment du « lâché » de goules, elle se faisait arrêter. Certes, elle vivait plus ou moins là, bien qu’étant toujours sur la route mais… Sa vie avait été celle d’une délinquante depuis qu’elle avait posé le pied sur le sol américain.

« Oui… Mais je ne me suis jamais établie vraiment quelque part. J’étais toujours sur la route. Et toi ? »

Pas vraiment Into the Wild mais elle pouvait bien se trouver deux trois points communs avec Supertramp. Et puis, autant directement aller dans les familiarités. Ils vivaient tous ensemble après tout. Ils allaient tous devoir se supporter, et Dieu savait que des fois, c’était dur. Plus dur en tout cas que la boîte sur laquelle elle venait de marcher. Elle s’abaissa, la ramassa. C’était de la coloration pour cheveux. Heureusement, elle ne l’avait pas cassé. Elle sourit en coin, la rangea dans sa sacoche. Let’s continue…