I love food more than I love people [Ft Lily Rose]

Elle avait faim. Non, elle crevait la dalle. Et elle en avait marre de gratter dans les stocks communs. Il lui fallait quelque chose d’épicé. Oui, aujourd’hui Madame avait des envies particulières. Elle se rappela avec un mélange de nostalgie et d’effronterie la vie qu’elle avait mené au Texas. On mangeait bien, beaucoup, et very spicy. Et c’est ce qu’il lui fallait. Un bon Tex-Mex. Heureusement, le Mall en abritait un. Elle sortit du Refuge, son fidèle katana à portée de main. Tout en descendant les escaliers jusqu’au premier, elle observa les alentours. A part une ou deux goules qui traînaient la patte, et quelques cadavres jonchant le sol, il n’y avait pas âme qui vive.
 
Tant mieux, elle avait l’habitude de manger seule. Elle s’approcha du restaurant et poussa la porte d’entrée.  Des vieux sombreros pendaient mollement sur les murs. L’endroit empestait. Avec un peu de chance, elle trouverait quelque chose de mangeable. Elle se dirigea vers les cuisines après être passée à côté du Taureau Mécanique qui n’avait plus si fière allure maculé de poussière. Elle poussa les battants. Et Merde. Félix était là, barre métallique pointée vers elle. Ironiquement, elle leva les mains en l’air, en un sourire taquin.
 
« Ce que le Mall est petit ! J’ai l’impression qu’on se croise mille fois par jour. On doit avoir les mêmes idées. »
 
Elle haussa les épaules, baissa les bras.
 
« En tout cas, je ne sais pas pour toi, mais je meurs de faim ! »

Alors qu'elle allait s'emparer de quelque chose qui avait attiré son attention, une main l'attrapa. Au quart de tour, elle réagit et trancha la main d'un coup précis de katana. Elle acheva ensuite la goule d'un coup dans la tête et se retourna, nullement perturbée par ce qui venait de se passer.

« On aurait beau en tuer, il restera toujours de cette saleté pour nous agripper la patte ! »

— Hmmf.

Encore elle. Elle le suivait à la trace ou quoi ? Il soupira doucement. Malgré tout, le petit sourire taquin qu’elle plaquait sur son visage lui fit baisser son arme. Il acquiesça en réponse à ses deux phrases. Un bruit de coup replaça son attention sur la jeune femme. Elle venait de tuer une goule et semblait trouver ça tout à fait courant et ordinaire. Même pas un peu de dégoût, ou de la crainte sur ses traits. D’un certain côté, Felix respectait cela ; d’un autre, il savait que cela pouvait pousser à la témérité parce qu’on se dit « Ah mais les zombies, pfft, de la pacotille. » Et la témérité entraine à la mort. Au final, il préférait sans doute être flippé et ne pas crever.

Après un dernier regard aux alentours pour vérifier qu’il n’y avait pas de goules sur son chemin, Felix se dirigea vers les chambres froides. Le visage du rouquin était tendu, ses gestes précautionneux. Il ne voulait pas être l’en-cas d’un zombie. Non, ce qu’il voulait, c’était trouver de la bouffe. Manger. Il enfonça son pied dans un cadavre mais le retira aussitôt. L’odeur horrible commençait à s’incruster partout, que ce soit dans les vêtements ou dans les lieux. Ses mains se refermèrent sur sa barre de métal avant qu’il ne pousse de l’épaule la porte des chambres froides. Des boîtes de surgelés s’alignaient, quelques sauces attendaient toujours d’être utilisées. Felix se décida pour un paquet de tacos au poulet. Selon la boîte, ils étaient les plus épicés de ceux que le restaurant servait. Niquel. Il n’aimait pas la nourriture prétendument spicy mais finalement sans piquant. Il entrouvrit la boîte pour en vérifier le contenu. 6 tacos s’alignaient effectivement, avec comme compagnon de la sauce piquante. Il s’autorisa un petit sourire puis glissa l’emballage dans son sac. Il les mangerait plus tard, et peut-être les partagerait-il avec quelqu’un. Mais froid, ça ne le tentait pas.

Le rouquin se tourna vers Lyly-Rose. Elle cherchait toujours. Il la rejoignit en quelques enjambées et l’observa quelques instants avant de s’enquérir de l’avancement de ses recherches :

— Tu trouves quelque chose ? J’ai trouvé des tacos au poulet là-bas, y aura peut-être quelque chose que tu peux manger. ‘Fin j’veux dire quelque chose de pas trop périmé.

Aussi, si elle pouvait se grouiller, il ne dirait pas non. Il ne voulait pas trop trainer ici. Il lui semblait qu’il y avait quelque chose qui ne se passerait pas bien s’il restait ici longtemps.

« Je vais jeter un œil... »

En quelques enjambées, elle rejoint la chambre froide. Si elle trouvait quelque chose qui ne soit pas en pleine putréfaction –que ce soit zombie ou nourriture- cela tiendrait du miracle. Il fallait vraiment qu’ils produisent quelque chose de significatif en serre. Mais ils étaient nombreux. De toute façon, ce n’était pas son estomac qui allait la lâcher pour quelque chose de pas trop frais. Des années d’entraînement. Des années de vagabondage. Elle se souvint de ses premiers jours seule, quand elle gerbait ses tripes pour du pain un peu bleu sorti d’une poubelle. Mais la nécessité aidant, elle s’y était accoutumée. Tout était mieux que de rester sous le joug de son père. Elle en avait bavé durant des semaines, puis, naturellement et petit à petit, le dégoût complet la quitta, et son estomac s’accrocha.

Avec Louis, c’était un peu différent. Ils étaient entre trouvailles miraculeuses et vols. Une pomme qui glissait d’un étalage, des lacets défaits, on se penchait pour les refaire et on prenait en même temps la pomme, ou tout autre chose. Cela marchait presque à chaque fois. Et puis, les gens jetaient tant, c’était une aubaine pour eux. Parfois en moins bon état, ou plus ou moins périmé, ils trouvaient des choses de toutes sortes. Ils ne faisaient jamais les difficiles. Ils étaient des fantômes de la société. Personne ne savait qu’ils existaient. Ils changeaient d’identité comme de chemise. Elle était passée par tous les noms, tous les statuts, sœur, femme, cousine. Ils ne faisaient cela que pour leurs rares nuits d’opulence. Et elle l’avait fait pour travailler un peu, gagner de l’argent et rallier la Californie quand Louis avait été arrêté. Elle n’était plus personne et tout le monde à la fois.

Le froid l’accueillit comme une vieille amie. Comme la fille tremblant dans une veste rapiécée qu’elle avait été. Elle n’en avait plus rien à faire. Insensible. Elle était sdf depuis trop longtemps pour se rappeler ce que cela faisait d’avoir un chez-soi, de se blottir au coin du feu avec son frère, riant de choses et d’autres. Un gémissement se fit entendre. Eh merde. Ce n’était pas son jour. Elle dégaina son katana dans un tintement clair.

« Tire-toi d’ici, je m’occupe d’eux, t’inquiète. »

Si elle était insensible à ce qui se passait, aux zombies qui pouvaient la tuer et la transformer à tout moment, elle savait que ce n’était pas le cas de tout le monde. Elle n’avait pas vraiment de raisons de vivre, mais elle continuait malgré tout. Elle continuait parce qu’elle était forte. Parce qu’elle avait au fond d’elle cette impression persistante qu’en tranchant ces zombies, elle tranchait son père. Et cela n’avait pas de prix. Pas spécialement qu’elle aimait cela, mais c’était en quelque sorte une douce vengeance pour tout ce qu’elle avait traversé au fil de ses jeunes années. Elle aperçut l’un des cadavres en marche. Elle fit tournoyer son arme et l’abattit en plein dans la boîte crânienne de la goule. Prends-ça Piers. Souffre comme moi j’ai souffert. Meurs. Connard. L’adrénaline la boostant, elle continua à se battre contre les monstruosités. Les corps tombèrent les uns après les autres dans des bruits mats. Un. Deux. Trois. Quatre. Elle ne partirait pas avant qu’ils soient tous à terre. Avant que tous ces putains de Piers ne meurent une seconde fois.